J’ai voté la prolongation de l’état d’urgence pendant trois mois. Face à la situation dramatique de ces attentats perpétrés en plein Paris par des terroristes, en lien direct avec des mouvements islamistes étrangers, il faut agir dans l’urgence et avec efficacité. C’est un impératif absolu pour la sécurité de nos concitoyens.
Pour autant, ce qui s’impose à nous est d’affronter avec lucidité la situation dans laquelle nous nous trouvons, pour en sortir et ne pas reproduire demain des erreurs qui nous coûtent cher aujourd’hui.
Nous devons aux victimes et à leurs familles une analyse, un examen attentif, un vrai débat sur les origines des maux qui nous touchent aujourd’hui. Et bien évidemment sur ce qu’il faut entreprendre pour conjurer la menace.
Nous devons réfléchir sans tarder à la politique étrangère de la France depuis des années et en particulier depuis 2005, où après avoir résisté aux folles visées de George W. Bush et des néo-conservateurs, nous nous sommes trop laissé entraîner dans leur sillage. Je crains parfois que les néo-conservateurs n’aient trouvé quelques émules au sein même du quai d’Orsay.
Nous ne pourrons pas durablement refuser pour des motifs économiques de nous interroger sur nos relations avec les pétromonarchies du Golfe, et feindre d’ignorer plus longtemps leur collusion avec les mouvements terroristes comme leur lourde responsabilité dans les dérives que le wahhabisme a provoquées au sein de l’islam. Nous devons nous attaquer avec plus de force aux circuits de financements. Les plus de deux milliards de dollars de recettes qu’empoche l’EI ne tombent pas du ciel. Il faut tarir ces sources, agir contre ceux qui font transiter et achètent ce pétrole.
Nous ne pouvons pas continuer avec cette conception étrange de la Vème République qui prétendrait placer les affaires étrangères et la défense dans le domaine réservé du Président de la République. Car c’est le pays tout entier qui doit participer à l’indispensable débat sur la façon dont la France défend, avec lucidité et détermination, ses intérêts, ses valeurs, sa position dans le concert des nations.
De ce point de vue, l’affirmation, à mon avis trop tardive mais néanmoins bienvenue, d’un changement d’attitude avec la Russie et l’appel à une coalition internationale soutenue par l’ONU était indispensable. Il reste à la construire.
Chacun voit bien que désormais les choix internationaux de la France ont un impact évident sur les Français. C’est vrai pour l’économie, l’écologie et le terrain politique de la paix et de la sécurité.
Nous ne pouvons plus ne pas analyser plus en détail l’intérêt de l’engagement de nos forces armées sur différents terrains extérieurs. Pour ma part, j’ai approuvé sans réserve l’intervention au Mali, opérée à la demande d’un Etat souverain avec lequel nous avions des accords de défense. Je reste plus dubitative sur d’autres théâtres engagements surtout quand ils s’opèrent sans mandat de l’ONU. Cette exigence n’est pas du formalisme excessif. J’ai voté contre notre entrée dans la première guerre du Golfe ; nous n’étions pas nombreux alors. Je ne crois pas que l’histoire nous ait donné tort : il suffit de regarder les conséquences et la façon dont tout cela a engendré une déstabilisation redoutable et durable de la région.
Il est grand temps de réévaluer sérieusement nos interventions et si elles devaient se poursuivre, les moyens à consacrer à nos armées pour ce faire, sans éluder la question de la force de frappe nucléaire.
Sur ces sujets cruciaux nos concitoyens, les forces vives du pays, le parlement, n’ont pas depuis longtemps participé à des choix stratégiques, portant une vision de notre avenir et de la place de la France dans le monde. C’est une part de l’identité nationale, conçue comme projet collectif et non comme conformisme comportemental, qui s’y joue.
Il faudra aussi affronter, sans s’arrêter aux éléments de communication, aux émotions bien légitimes de l’instant, la question décisive de l’efficacité de l’État et des pouvoirs publics pour assurer notre sécurité. Sur ce sujet majeur, car il n’est pas de liberté sans sécurité – et réciproquement –, ni de démocratie avec la peur brandie en permanence, il faut d’abord chercher l’efficience de l’action.
La fuite en avant législative cache mal l’insuffisance des moyens, les dysfonctionnements dans l’organisation des services, le choix de priorités discutables. A chaque événement, à chaque drame, et même il y peu encore à chaque fait divers, les gouvernements proposaient de nouvelles lois, censées en durcissant les peines dissuader les délinquants voir « terroriser les terroristes ». Nul besoin de constater ce qu’il en est. Je n’ai jamais été laxiste car pour moi ce qui importe est que les objectifs que nous nous fixons soient atteints et donc qu’on agisse en conséquence dans le réel et non qu’on se gargarise de textes qui sont très souvent inutiles et qui – un jour ou l’autre – pourraient s’avérer dangereux. Qui plus est lorsqu’une nouvelle loi survient alors les décrets d’application de la précédente n’ont pas toujours été pris.
Or sur le réel, nous ne pouvons-nous taire.
Il faut faire un bilan précis de la fusion des RG et de la DST lors de la création de la DGSI. Est-ce que le pays y a vraiment gagné ? C’est toute une connaissance du terrain, des réseaux divers et variés qui s’organisent qui s’est affaiblie. La communication entre les services déconcentrés et le service central du renseignement intérieur d’une part, celle entre ce dernier et les services extérieurs d’autre part est-elle optimale ? Est-il souhaitable de balayer d’un revers de main ces questionnements ? A parier de plus en plus sur le développement des outils technologiques, ne négligeons nous pas la présence humaine qui est à la base du renseignement et la judiciarisation de ces informations ?
Je ne suis pas certaine que même avec la loi « renseignement », notre pays soit doté de bons outils d’analyse et de traitement opérationnels d’une collecte renforcée des informations.
Ces questions, nous les devons aux français. Posons-les nous rapidement, répondons-y sereinement avant d’engager ce qui pourrait s’avérer une nouvelle fuite en avant législative voire constitutionnelle. Là est l’urgence. Si certaines évolutions constitutionnelles sont aujourd’hui imaginées, vérifions d’abord qu’elles sont indispensables, que le droit actuel ne peut permettre d’agir comme il faut et surtout se rappeler – l’histoire nous l’a montré – qu’il n’est jamais sain de modifier nos textes fondamentaux, notre constitution, dans des états d’urgence. Ces textes nous ont permis de surmonter de graves crises, de faire face à de terribles menaces et même quand ceux qui menaçaient la République étaient Français, étaient en France. Alors, regardons-y de près.
Mais surtout agissons ici et maintenant. De ce point de vue, l’annonce des créations de postes dans la police, la justice, les douanes est très positive. Je suis en colère quand je me remémore les demandes réitérées à chaque débat budgétaire de création de postes de fonctionnaires en particulier dans ces domaines clefs qui n’avaient pour toutes réponses qu’un refus au motif de la rigueur budgétaire. S’agissant des douanes, on me renvoyait l’archaïsme et la désuétude de ma demande dans le contexte européen. Pourtant, au-delà du contrôle de la circulation des personnes, il fallait aussi contrôler la circulation des biens tout aussi indispensable.
Nous avons pris du retard, le nombre de places dans les écoles de police est insuffisant, et les créations de postes mettront du temps à se concrétiser. Cette remise à niveau de notre système demande du temps, au moins celui de la formation. Alors utilisons les forces existantes là où elles sont le plus utiles.
Nous n’avons aucune leçon à recevoir de la droite qui a fait des choix de politique étrangère désastreux et laissé l’État dans un état déplorable.
Nous ne devons pas céder aux sirènes de l’extrême droite qui ne cessera pas de faire monter la pression. A peine aurait-on cédé à ces injonctions qu’apparaîtra leur inefficacité, le FN dira que nous n’avons pas été assez loin.
Viendra le temps de la remise en cause du droit du sol, des conditions d’accès à la nationalité ; viendra le temps de « l’exigence » de milices populaires pour surveiller les comportements suspects, etc. Je sais, disant cela, que d’aucuns penseront que je suis excessive. Je préfère faire un excès de zèle dans la prévention que de devoir faire face après. Car hélas ceux qui résistent peu aujourd’hui ne résisteront pas plus demain.
Les mots ne convainquent pas si les actes ne sont pas capables de démontrer qu’une issue est possible et que la paix peut être gagnée.
Donc, c’est avec sérieux que je fais ce choix de voter aujourd’hui la prolongation de l’état d’urgence. Mais c’est avec vigilance que j’exigerai que ne soient pas éludés les enjeux qui doivent nous permettre de trouver des solutions effectives, en conformité absolue avec nos valeurs.
Je crois qu’une très large partie de la population française, de nos compatriotes de confession musulmane comme de tous les autres, sont prêts à s’engager contre ce qui nous menace tous, contre la barbarie. Je sais aussi que les valeurs doivent s’incarner dans le quotidien de chacun et que si le pacte républicain s’affirme contre les ennemis de la République, il se construit quand nous agissons pour une société plus juste, plus émancipatrice. Tout se tient.
Alors tenons bon.