La lutte contre le changement climatique est l’une des grandes causes universelles qui devrait en ce début de XXIème siècle amener l’humanité à prendre conscience de son interdépendance, de son unité et servir de levier à l’espoir d’un progrès partagé, d’actions communes porteuses d’un avenir meilleur pour tous. La compréhension des menaces, pour indispensable qu’elle soit, ne suffit pas : elle doit s’accompagner d’une nouvelle vision de notre développement et de la vie humaine.
La lutte contre le changement climatique pose la question de la survie de l’humanité mais aussi de l’actuelle mondialisation tournée vers l’appropriation des richesses et de la nature par un petit nombre, qui fait porter de graves menaces sur tous.
L’urgence écologique est là : maintes fois rappelée dans les textes, jamais consacrée dans les actions. Depuis les premiers sommets, les gaz à effet de Serre ont cru de 60%.
L’ONU s’est avérée incapable d’obtenir des consensus actifs sur tous les grands problèmes planétaires. C’est sans doute l’un des problèmes majeurs de la mondialisation actuelle où aucune politique incarnant l’intérêt général n’est en mesure d’émerger ni sur le terrain social, ni sur le champ environnemental. Seules arrivent à s’imposer la progression de la libéralisation des échanges et des mouvements de capitaux comme la généralisation de la marchandisation, qui s’affranchissent au maximum de tout arbitrage collectif ou démocratique.
Cette impuissance du multilatéralisme devant des enjeux aussi majeurs que les droits sociaux et la protection de l’environnement crée une défiance majeure des peuples envers ses institutions et exige une nouvelle pensée de l’architecture des relations internationales.
Face à cette situation, les inégalités s’accroissent chaque jour dans et entre les pays. Les citoyens, singulièrement les plus fragiles, subissent les effets d’un dumping social et environnemental redoutable comme des dérèglements climatiques. Les peuples choisissent de plus en plus le nationalisme, le repli ethnico-communautaire, le fondamentalisme religieux. Et ce dans bien des pays…
Il nous faut donc défendre avec force l’exigence d’avancées majeures lors de la COP21 pour un engagement réel et contraignant sur la réduction des Gaz à Effet de Serre, sur la formulation d’objectifs précis à court et moyen terme avec des étapes intermédiaires régulières et une évaluation permanente, sur des financements garantis pour les pays et populations les plus pauvres.
Mais il faudra aussi défendre une nouvelle vision du développement, stopper le libre-échange généralisé et imposer la hiérarchie des normes sociales, environnementales sur la libre circulation et la concurrence. Car sans réduction des inégalités, il n’y aura pas de réussite de la transition énergétique.
Alors abordons avec lucidité et volonté cette COP21 qui vient de s’ouvrir à Paris.
Lucidité, car il est fort à parier qu’il n’y aura pas de miracle et que le texte final sera très éloigné de ce qui s’imposerait. Mais il faut voir le chemin parcouru, les obstacles à surmonter et si la prise de conscience actuelle s’est considérablement accrue rien ne serait pire que de sortir de cette rencontre au sommet sans avancées significatives, avec la même impuissance que lors de la COP de Copenhague qui devait ouvrir une nouvelle étape après le protocole de Kyoto et qui s’est soldée sur un échec. 180 pays ont déjà fait parvenir des contributions. C’est un premier pas.
Lucidité et volonté au regard de ce qui est aujourd’hui sur la table des négociations.
La méthode choisie pour tenter d’aboutir à un «bon accord» à la COP21 a été l’envoi par pays des engagements qu’ils comptaient prendre pour réduire ses GES et atteindre l’objectif commun, c’est-à-dire ne pas augmenter la température globale de 2°c – le mieux serait 1,5°c – d’ici la fin du siècle (2100). Il faudrait à cette échéance ne quasiment plus émettre de GES.
Selon le GIEC, cela signifie de réduire les émissions de GES de 40 à 70%. Un pic devrait être atteint en 2020 et une diminution ensuite. Le scénario fixe des paliers : – 44 GTonnes de CO2 d’ici 2020, – 40 GTonnes de CO2 d’ici 2025, -30 GTonnes de CO2 d’ici 2030.
S’il est positif de se fixer des objectifs pour 2050, il est essentiel et plus prudent de fixer des objectifs intermédiaires.
L’ONU a collecté les copies des États avant Paris. Au mois d’octobre une réunion préparatoire a eu lieu une réunion préparatoire. Un texte a été arrêté. Il va servir de référence aux négociations.
10 Problèmes à résoudre !
Premier problème : si l’on additionne les réductions des GES annoncées, la hausse de température est de 3°c et non 2°c.
Deuxième problème : dans le mandat de négociation issu de la rencontre de Bonn pour la réunion de Paris, il n’est pas prévu de négocier le rattrapage entre le niveau atteint par la somme des engagements envoyés pour Bonn et ceux estimé pour atteindre le niveau des 2°c.
Le débat doit avoir lieu et être tranché si la contribution des États envoyée à l’ONU est une contribution (en anglais : contribution) ou un engagement (commitment). Doit être aussi discuté et arbitré comment on mesure ces contributions, comment on les vérifie, on les comptabilise ?
Évidement c’est très insuffisant.
Troisième problème : il n’y aurait pas d’objectif à moyen terme et il y a peu de précisions sur les objectifs à long terme en quantité de GES.
Il serait tout de même négocié une date pour un pic, c’est-à-dire le moment après lequel la tendance devra s’inverser. Sont totalement ignorés les simulations et données du GIEC.
Pour le pic et des éventuels objectifs intermédiaires, il y aura le même débat à clarifier sur la nature des engagements : doivent atteindre (shall) ou devraient atteindre (should).
Quatrième problème : la mesure des engagements est plus qu’ambiguë.
Parfois en changeant les mots, on change complètement l’objectif. Exemple : s’agissant d’une des options à long terme, l’objectif est exprimé en parlant d’émissions nettes zéro. Ce qui n’est pas du tout la même chose que zéro émission ; la différence est importante. «Émissions nettes» suppose qu’on peut avoir des émissions de CO2 mais les stocker.
Or le stockage du CO2 n’est pas sans conséquences écologiques (déforestation, terres arables, fonds des océans). Si cette méthode se développait à grande échelle, on peut craindre sur les droits fonciers et la souveraineté alimentaires des populations locales les plus fragiles. On pourra d’ailleurs noter que lorsque le gouvernement indique qu’il va supprimer ses subventions aux centrales à charbon… sauf si elles stockent le CO2.
Cinquième problème : la question de la révision des objectifs.
Ce problème est d’autant plus important que le niveau des réductions évoquées est notoirement insuffisant et que les effets du changement climatique sont de plus en plus évident.
Le document de BONN fixe l’échéance de révision pas avant dans 10 ans !
On peut espérer que les négociations de Paris avancent cette échéance. Lors de la visite de François Hollande en Chine le communiqué final demande qu’«une revue complète ait lieu, tous les 5 ans, sur les progrès accomplis en vue d’atteindre les objectifs à long terme agréés».
Sixième problème : la question des énergies fossiles éludée et pas de plan pour les énergies renouvelables.
Le texte actuellement sur la table ne cite jamais les énergies fossiles – ce qui est en retrait par rapport à certains textes antérieurs qui envisageaient la réduction possible des énergies fossiles.
Ces énergies fossiles représentent 80% des émissions de GES et reçoivent aujourd’hui dans le monde 700 Milliards de Dollars. Si on calcule les aides indirectes, c’est beaucoup plus (les ONG disent 10 millions de dollars par seconde dans le monde).
De nombreux chercheurs demandent un moratoire international sur toute nouvelle exploration des énergies fossiles.
Dans le même temps, pas d’engagements sur les énergies renouvelables. En 2011, le GIEC affirmait que 80% de l’approvisionnement mondial pouvait être réalisé d’ici 2050 (cf. France scénario ADEME).
En tout cas le terme ENR n’est pas dans l’actuelle version du texte, ni l’idée d’un plan de déploiement international, ni de dispositif de soutien financier et technique (réorienter les subventions publiques, le transfert de technologie, le soutien aux recherches).
Septième problème : les accords n’auront pas d’impact sur les accords internationaux.
Le fait que l’accord ne contienne que de vagues objectifs sans cadre opérationnel ne permet pas leur prise en compte dans les différends de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). D’ailleurs plusieurs plans régionaux ou nationaux de soutien aux énergies renouvelables ont été cassés ou sanctionnés car contraire aux règles du libre-échange.
On voit bien à quel point ce genre de problèmes pourrait se multiplier si le TIPP ou autres accords voyaient le jour !
Huitième problème : Près de 10% des émissions de CO2 sont hors de l’accord – l’aviation et le transport maritime.
Ainsi l’accord, contrairement à ce qui est prétendu et s’il n’évolue pas, ne serait pas universel. On peut sans doute expliquer cette exclusion par le point précédent, à savoir l’obsession de l’extension du commerce mondial ou du libre-échange.
L’aviation représente 5% des émissions mondiales de C02 ; le transport maritime 3%.
Ce phénomène n’est pas nouveau, depuis le début des accords sur le climat. Mais il est d’autant plus urgent de désormais les introduire que ces émissions ne cessent de croître. Si aucune réorientation n’est engagée, elles devraient augmenter de 250%.
Neuvième problème : la solidarité, les droits humains, la justice sociale de plus en plus marginalisés dans les instances internationales et les COP.
L’espérance d’un développement écologique et solidaire recule.
Le changement climatique crée de grandes difficultés dans certains territoires. Le nouveau mode de développement qu’il nous faut promouvoir devrait allier transition énergétique mondiale mais aussi justice sociale, droits humains pour tous, souveraineté alimentaire et démocratie effective.
Dans le texte d’entrée de la COP, tous ces sujets ne sont regroupés que dans un seul paragraphe fourre-tout avec des phrases lénifiantes comme : «il faut tenir compte de ces enjeux». Les sujets cités sont la sécurité alimentaire, les politiques sociales, une transition juste, le travail décent.
Mais, de surcroît, cet unique paragraphe se situe dans le préambule, donc pas au cœur du dispositif juridique.
On perd peu à peu l’esprit de la convention de Rio qui visait à assurer des critères de justice entre pays et entre les différentes populations de la planète.
Un principe y était clairement affiché : «Tout le monde n’a pas la même responsabilité face à la crise, ni les mêmes moyens pour y faire face». A mesure que les COP se déroulent, il est affaibli. Dans le texte actuel il est simplement écrit que l’accord «reflète» ce principe (article2). Ça ne veut rien dire, en tout cas cela permet toutes les interprétations et aucune action.
Pourtant un récent rapport de la banque mondiale alerte sur les risques d’accroissement de la pauvreté avec le changement climatique et exhorte à agir. La question alimentaire est devenue incontournable.
Comment alors s’étonner du désintérêt de certaines catégories sociales ? Du doute sur l’intérêt d’une action mondiale ou de la montée du nationalisme ? Comment penser que les objectifs seront atteints si la population ne prend pas part aux indispensables mutations des modes de vie ?
Le gouvernement français ne peut être tenu responsable de cette situation, mais il ne doit pas se taire.
Dixième problème : le financement, le fonds vert.
Dans le texte issu de Bonn, l’article financement est quasiment vide. C’est un des points majeurs de la négociation de Paris.
Lors de la conférence de Copenhague, les États s’étaient engagés à trouver pour 2020 100 milliards de Dollars pour les pays et populations démunis. En 6 ans, on a peu progressé et cette somme n’est toujours pas rassemblée.
Non seulement les pays riches ne veulent pas s’engager de façon contraignante mais ils refusent de trouver des financements dédiés (Taxe sur les transactions financières, mise à contribution du privé, etc.). On le voit, les points à dénouer sont nombreux et ils ne seront probablement pas tous résolus à cette étape.
La mobilisation continue après la COP
Mais après la COP, nos efforts ne sauraient se relâcher pour mettre en œuvre en France et en Europe des politiques exemplaires pour la transition énergétique et promouvoir de nouvelles réponses.
Il faut aussi s’engager au niveau mondial. Il faut mettre toutes nos forces désormais pour créer sans tarder une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME), ou pour le moins de la lutte contre le changement climatique, organe permanent capable d’édicter des normes, des conventions, fussent-elles plus réduites en périmètre, voire en signataires mais concrètes et capables d’engager les parties dans des actions et financements.
D’une certaine façon l’Organisation Internationale du Travail (OIT) joue, et surtout a joué ce rôle pour le droit du travail. Et là, on touche l’autre limite qu’il faut rapidement dépasser, à savoir la hiérarchie des normes, la relégation du social et de l’environnemental au marge du système économique, hors d’état de s’imposer à tous les acteurs étatiques ou aux multinationales. L’exemple de l’OIT est de ce point de vue désolant.
C’est pourquoi non seulement il convient de créer l’OME mais aussi de ne plus signer de traités économique n’imposant pas des restrictions pour veiller au respect des règles environnementales et n’assurant pas la hiérarchie des normes pour placer le social et l’environnement au-dessus de la libre circulation des biens et des capitaux. Bref l’OIT et l’OME s’imposant face à l’OMC.
Les enjeux doivent être globaux et ne pas traiter séparément le social, l’économie et l’écologie. On devrait promouvoir des accords bilatéraux, en particulier entre grandes régions qui organisent les échanges, la lutte contre le changement climatique et droits sociaux et humains autour de nouveaux pactes de développement. L’Europe devrait en prendre l’initiative. Mais pour ce faire il est essentiel de pouvoir s’affranchir des dogmes de l’OMC, par exemple sur les aides publiques, sur la taxation en cas de non-respect de normes etc. De ce point de vue aussi la multiplication des traités de libre échange, comme celui entre l’UE et la Canada ou le Traité de partenariat transatlantique qui se prépare sont des obstacles majeurs. C’est pourquoi il est urgentissime d’arrêter ces négociations pour engager d’autres formes de coopérations entre continents.
Les mécanismes de financement imaginés pour concourir d’une part à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’autre part au développement des pays les plus pauvres n’atteignent aucun de ces objectifs. Les plus pauvres en bénéficient peu. Ils sont trop fondés sur le marché des droits d’émissions et non sur la redistribution et la solidarité.
Nous devons être des citoyens engagés aujourd’hui pour la réussite de la COP21, pour la mise en œuvre d’actions ensuite mais aussi pour proposer une autre logique.